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Lettre à nos politiciens belges, à tous les niveaux

Updated: Mar 29

Recommandations pour rétablir la confiance dans notre État de droit, notre marché

des capitaux et nos institutions



Chère Madame, cher Monsieur,

 

Au cours des prochains mois, vous allez probablement consacrer beaucoup de temps à préparer les élections et à recruter des électeurs - peut-être même plus qu'à la gouvernance effective du pays. Cela fait partie du bon fonctionnement d'une démocratie, dans la mesure où cela permet un dialogue intensif entre les citoyens et les politiciens. Cela devrait alors garantir que leur opinion soit mieux reflétée dans la politique future. Si vous utilisez ce temps pour réfléchir et débattre honnêtement de ce qui fonctionne ou non dans notre système politique et de ce que vous voulez faire à ce sujet, alors c'est une période fructueuse d’un point de vue sociétal. C'est dans cet esprit que nous vous envoyons cette lettre, pour attirer votre attention sur une défaillance importante du système qui, à notre avis, doit être corrigée de toute urgence.

 

En 2019, Nyrstar, l'un de nos fleurons industriels de l'époque, est tombé entre les mains du

négociant de matières premières Trafigura, une entreprise à la réputation douteuse, à la suite d'une crise bien orchestrée. Les actionnaires minoritaires sont restés les mains vides à la suite d’une "restructuration". Après cinq ans de combat contre cette acquisition frauduleuse, nous appelons à nouveau nos responsables politiques, à tous les niveaux, à réfléchir sérieusement à la protection de nos entreprises et de nos actionnaires minoritaires.

 

Après une décision antérieure de classer l'affaire, le parquet d'Anvers va finalement quand même ouvrir une enquête sur des infractions pénales éventuelles, commises dans le cadre de cette acquisition. Cinq ans après la restructuration contestée, et près de dix ans après avoir posé les premiers actes répréhensibles pour la préparer. Le parquet n'avait guère le choix, après avoir appris que la FSMA, l'autorité de surveillance des marchés financiers, leur avait envoyé un dossier en béton, avec des indications sérieuses d’infractions pénales commises dans le cadre de l’acquisition mentionnée ci-dessus.

 

La même FSMA propose à sa Commission des sanctions d'infliger une amende administrative à Nyrstar et à ses administrateurs pour manipulation de marché et communication trompeuse. Il est peu probable que Trafigura, qui a réalisé un bénéfice net de 7,4 milliards de dollars en 2023, perde le sommeil à cause d'une amende administrative de quelques dizaines de milliers d'euros par administrateur de la société cotée en bourse, Nyrstar - et donc même pas d’un seul euro de Trafigura elle-même. Mais la FSMA, dans le cadre de ses compétences actuelles, ne peut pas aller beaucoup plus loin. C'est pourquoi elle doit à présent transmettre son dossier au parquet (déjà surchargé et sous-staffé). Et même si la FSMA a déjà accompli un travail titanesque, l'extension de son enquête au droit pénal risque de prendre à nouveau beaucoup de temps, de main-d'œuvre et d'expertise. Et les auteurs des infractions - comme ils le font depuis plusieurs années déjà - continueront à faire appel aux cabinets d'avocats (belges), les meilleurs et les plus chers, pour contester les faits et prolonger indéfiniment la procédure.

 

Le journaliste Rik Van Cauwelaert a mis le doigt sur le problème dans De Tijd, le 6 janvier dernier : "La justice belge est confrontée à un problème gênant : elle n'est plus en mesure de démêler des dossiers financiers comme l'affaire Nyrstar". L’affaire Nyrstar - l'une des plus grandes affaires de fraude de notre histoire industrielle - risque ainsi de tomber dans l'oubli comme tant d'autres victimes du plat régional belge le plus tristement célèbre : l'étouffement. Cuisiné à la perfection par la collusion d'un système judiciaire défaillant, d'un commissaire qui ne remplit pas correctement sa mission de contrôle, d'une série de prestataires de services qui, en échange d’honoraires généreux, sont plus qu'heureux de fournir des conseils qui servent les intérêts de l’acteur principal de l'histoire (Trafigura dans ce cas), et d'une classe politique qui se lave les mains en arguant qu'elle ne peut pas intervenir dans des dossiers spécifiques. Nos politiciens ignorent ainsi les nombreux signes d'un système défaillant, pour lequel la classe politique, en tant que pouvoir législatif et exécutif, porte effectivement la responsabilité finale.

 

Nyrstar est le dernier exemple en date d'une entreprise belge cotée en bourse dont les actionnaires minoritaires voient leur investissement partir en fumée. Fortis, Dexia, Lernout & Hauspie ne sont que quelques autres exemples, et des questions peuvent également être posées sur d'autres dossiers plus récents. À chaque fois, ce sont les actionnaires minoritaires qui trinquent, mais dès qu'ils se révoltent, une armée d'avocats et de prestataires de services se tient prête à défendre les intérêts des actionnaires de référence, les procédures traînent en longueur et/ou le pouvoir judiciaire détourne le regard jusqu'à ce qu’il y ait prescription.

 

Les dégâts sociétaux sont énormes. Non seulement pour les actionnaires minoritaires impactés. C’est la confiance fondamentale des investisseurs dans le bon fonctionnement de notre marché des capitaux et dans notre État de droit qui est en jeu. De plus en plus de fonds d'investissement délaissent la bourse de Bruxelles, tandis que le nombre d'entreprises cotées y diminue systématiquement. Et chaque perte de l'une des entreprises cotées belges qui nous restent entraîne un appauvrissement supplémentaire de notre marché boursier et un nouvel assèchement de liquidités, ce qui pousse de plus en plus d'investisseurs professionnels à se détourner de la bourse, entraînant un cercle vicieux. En fin de compte, cela menace notre activité économique et donc la prospérité de notre société. De plus, comme il faut plusieurs générations pour construire une entreprise de la taille de Nyrstar, l'appauvrissement risque de causer des dommages permanents à notre économie.

 

Quel est l'intérêt de rédiger des milliers de pages de lois et de règlements sur la bonne gouvernance d’entreprise si, dans la pratique, il est monnaie courante de les enfreindre et impossible de faire respecter leur application ? Sans parler de sanctionner les infractions commises pour indemniser les victimes et donner l'exemple à d'autres candidats.

 

Récemment, plusieurs initiatives législatives ont été lancées pour renforcer la nomination et le rôle des administrateurs indépendants, et pour attribuer dans certains cas le pouvoir de transférer les actifs d'une entreprise à l'Assemblée Générale. Cela répond en partie à certaines des suggestions de notre lettre du 27 mai 2020, et est présenté au grand public comme une réponse adéquate pour éviter la répétition des faits commis dans le dossier Nyrstar.

 

Cependant, sur base de l’expérience supplémentaire que nous avons acquise dans l'affaire Nyrstar depuis lors, nous pouvons dire avec certitude aujourd'hui que les mesures proposées n'auraient pas pu empêcher le désastre de Nyrstar. Avec un peu plus d'astuces juridiques, il aurait été facile de contourner ces nouvelles dispositions - pire encore, elles n'auraient fait qu'ajouter une façade supplémentaire pour donner à la restructuration frauduleuse une apparence de conformité légale.

 

C'est pourquoi nous estimons qu'il est de notre devoir sociétal de nous adresser à nouveau à l'élite politique de ce pays avec le message clair qu'il faut faire davantage si nous voulons offrir une protection adéquate aux actionnaires minoritaires, et si nous voulons éviter que d'autres entreprises ne disparaissent de la bourse belge au profit de capitalistes opportunistes.

 

Pour commencer, nous avons formulé une nouvelle série de recommandations politiques que nous jugeons indispensables pour restaurer la confiance (des investisseurs) dans notre État de droit, notre marché des capitaux et nos institutions. Une réforme en profondeur de la justice semble nécessaire pour inverser la tendance. Mais cela prendra des années, et les chances de succès sont limitées. Une voie, peut-être plus efficace, serait d'étendre le mandat de l'autorité de surveillance des marchés financiers, la FSMA, en lui conférant également, à l'instar de nombreux autres pays, des pouvoirs de police et de justice pénale, ainsi que les moyens de veiller à ce que son travail d'enquête ne se perde pas dans les caves poussiéreuses de la justice, mais soit utilisé pour faire rendre des comptes aux responsables de la criminalité en col blanc, et pour indemniser les victimes pour les dommages subis.

 

Nous plaidons également pour un certain nombre de modifications de la loi de finances, notamment en ce qui concerne le rôle de l'administrateur indépendant et du commissaire, et d'autres mesures visant à renforcer la protection des actionnaires minoritaires. Mais aussi en ce qui concerne le rôle des nombreux prestataires de services (avocats, consultants, banquiers d'affaires, agences de relations publiques), qui, souvent pour de grosses sommes d'argent, permettent à des acteurs aux poches profondes et aux mauvaises intentions de contourner la législation et de prolonger indéfiniment les procédures judiciaires. Nous joignons ce document de 20 pages à cette lettre. Vous pouvez également trouver une version électronique sur notre site internet www.rsqinvestors.eu.

 

Nous savons que, dans les mois à venir et lors de la formation du gouvernement qui suivra, vous serez confronté à de nombreux abus et propositions politiques. Mais faites de ceci l'une des priorités dans le domaine de la politique économique et financière. Une grande partie de la prospérité de notre pays en dépend. Ce n'est qu'en intervenant politiquement avec vigueur que la confiance des investisseurs et des citoyens dans l'État de droit et dans la capacité de notre pays à protéger les droits des citoyens, des actionnaires minoritaires et des entreprises pourra être restaurée.

 

Nous vous remercions de l'attention que vous voudrez bien porter à ce problème.

 

 

Kris Vansanten                                                                     Evelyne van Wassenhove

 

 

Partners Quanteus Group Représentants d’un groupe de 70 actionnaires minoritaires de Nyrstar SA, réunis au sein de RSQ Investors, qui fait partie du groupe Quanteus.




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